La toute jeune Cour Administrative d’Appel de Toulouse vient de rendre un arrêt intéressant en matière de régularisation des vices affectant un permis de construire en cours de procédure et plus particulièrement sur la question, souvent épineuse, d’un permis de construire délivré sur un terrain qui s’est révélé enclavé.
Un nouvel exemple de l’application très large et souple de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.
CAA Toulouse, 12 mai 2022, N° 19TL01569
Dans la présente affaire, le propriétaire d’un terrain enclavé sollicitait, depuis plusieurs années, le désenclavement de son terrain en vue d’y réaliser un projet de construction.
A défaut de règlement amiable et de la signature d’une servitude conventionnelle de passage avec le propriétaire du terrain voisin, une procédure judiciaire aux fins de désenclavement du terrain litigieux a été initiée.
Parallèlement, le propriétaire du terrain enclavé, fort d’un rapport d’expertise judiciaire favorable et proposant le désenclavement en grevant la parcelle voisine d’une servitude de passage, a déposé et obtenu un permis de construire deux maisons individuelles d’habitation. Or, le plan de masse et la notice explicative joints au dossier de demande du permis de construire en litige indiquaient l’existence d’une telle servitude, ce qui n’était pas exact, le litige étant encore pendant devant le Tribunal de Grande Instance d’Avignon.
Saisi d’une demande d’annulation de ce permis de construire par le propriétaire du terrain voisin, le Tribunal administratif de Nîmes qui a annulé le permis de construire contesté au motif que les déclarations inexactes du pétitionnaire sur la prétendue existence d’une servitude de passage ont été de nature à fausser l’appréciation portée par l’autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable à la date d’édiction de la décision attaquée (Notamment au regard de l’article R. 431-9 al. 3 du code de l’urbanisme).
Hasard du calendrier, le Tribunal de Grande Instance d’Avignon s’est prononcé le même jour que le Tribunal administratif de Nîmes pour finalement reconnaître l’existence d’une servitude de passage au bénéfice du terrain d’assiette du projet.
Il y avait donc matière à former appel pour le pétitionnaire, et la Cour Administrative d’Appel de Toulouse a fini par lui donner raison, en jugeant que :
« 10. Les dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme ont pour objet de permettre au juge administratif de surseoir à statuer sur une demande d’annulation d’un permis de construire lorsque le vice entraînant l’illégalité de ce permis est susceptible d’être régularisé. Il appartient au juge, pour faire usage des pouvoirs qui lui sont ainsi dévolus, d’apprécier si, eu égard à la nature et à la portée du vice entraînant son illégalité, ainsi qu’aux circonstances de l’espèce, cette régularisation est possible. Un vice de procédure, dont l’existence et la consistance sont appréciées au regard des règles applicables à la date de la décision litigieuse, doit en principe être réparé selon les modalités prévues à cette même date. S’agissant des vices entachant le bienfondé du permis de construire, le juge doit se prononcer sur leur caractère régularisable au regard des règles d’urbanisme en vigueur à la date à laquelle il statue et constater, le cas échéant, qu’au regard de ces règles le permis ne présente plus les vices dont il était entaché à la date de son édiction.
11. Il ressort des pièces du dossier qu’à défaut d’un règlement amiable, une procédure judiciaire aux fins de désenclavement du terrain litigieux a été initiée depuis plusieurs années. Une expertise a ainsi été ordonnée le 15 février 2012, laquelle a donné lieu au dépôt du rapport définitif de l’expert le 24 avril 2013. L’audience devant le tribunal de grande instance d’Avignon, qui avait été initialement fixée au 16 février 2018, a d’abord été renvoyée au 13 novembre 2018 puis à une date ultérieure. A la date à laquelle il a statué, le tribunal administratif de Nîmes a donc pu estimer à bon droit que l’illégalité relevée au point 6 du présent arrêt ne pourrait pas être régularisée à échéance raisonnable.
12. Néanmoins, l’existence d’une servitude de passage au bénéfice du terrain d’assiette du projet a finalement été reconnue par jugement du 5 février 2019 du tribunal de grande instance d’Avignon. Si Mme C… fait valoir, en cause d’appel, que ce jugement a été frappé d’appel ou que le terrain d’assiette du projet serait inconstructible au regard des règles d’urbanisme aujourd’hui en vigueur, elle n’apporte aucun élément à l’appui de ses allégations. Par suite, et alors que l’appel n’est pas suspensif, les vices affectant le permis de construire, relevés au point 6 et au point 9, sont régularisés à la date du présent arrêt. »
Ainsi, les vices résultant des déclarations inexactes du pétitionnaires (point 6 de l’arrêt) et de la méconnaissance de l’article 1NB3 al. 1 du POS (« Pour être constructible, un terrain doit avoir accès à une voie publique, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un passage aménagé sur fonds voisins, éventuellement obtenu par application de l’article 682 du code civil » – point 3 de l’arrêt), ont pu être régularisés, a posteriori, par la reconnaissance d’une servitude de passage par le juge judiciaire.
Photo par Eloy Martinez on Unsplash