Rendu sous les éclairantes conclusions de Mme Dorothée PRADINES, Rapporteure publique, le Conseil d’Etat a jugé que l’action tendant à la démolition d’un ouvrage public irrégulièrement implanté était imprescriptible (CE, 2-7 chr, 27 sept. 2023, n° 466321, Lebon T.)
Dans cette décision remarquable, publiée au recueil Lebon, le Conseil d’Etat est venu compléter l’édifice jurisprudentiel en matière de contentieux des ouvrages publics irrégulièrement implantés.
Pour mémoire, dans sa décision n° 410689 du 29 novembre 2019, le Conseil d’Etat avait jugé que ce type de recours relevait du plein contentieux et qu’il appartenait au juge de déterminer, « en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue », 1- Si l’ouvrage est irrégulièrement implanté ; 2- Puis, dans l’affirmative, si une régularisation appropriée est possible ;-3- Et, dans la négative, de « contrôler le bilan » de la démolition demandée qui ne doit pas porter une atteinte excessive à l’intérêt général.
Restait la question de savoir si la prescription trentenaire de l’article 2227 du code civil, bornant les actions réelles immobilières, était transposable à ce type de contentieux.
Alors que plusieurs cours administratives d’appel avaient appliqué cette prescription trentenaire[1], la question n’était pas si évidente et vient seulement d’être tranchée par le Conseil d’Etat.
Imprescriptibilité de l’action tendant à la démolition d’un ouvrage public irrégulièrement implanté
Au visa de l’article 2227 du code civil, le Conseil d’Etat a clairement jugé que :
« Compte tenu des spécificités, rappelées au point précédent, de l’action en démolition d’un ouvrage public empiétant irrégulièrement sur une propriété privée, ni ces dispositions ni aucune autre disposition ni aucun principe prévoyant un délai de prescription ne sont applicables à une telle action. L’invocation de ces dispositions du code civil au soutien de l’exception de prescription trentenaire opposée par la société Enedis était donc inopérante. »
Contrairement au contentieux de la remise en état des ICPE (CE, 8 juillet 2005, Société Alusuisse-Lonza-France, n°247976), le Conseil d’Etat a ici entendu s’extraire de l’application des « principes dont s’inspirent les articles du code civil » pour écarter l’application de la prescription trentenaire aux contentieux des ouvrages publics irrégulièrement implantés.
Pour autant, si l’écoulement du temps n’est pas une cause de prescription, il revient au juge d’en tenir compte dans le cadre de son contrôle du bilan de la démolition demandée.
L’écoulement du temps saisi par le contrôle du bilan de la démolition demandée
Refoulée des questions de recevabilité préalable, la problématique de l’écoulement du temps revient toutefois en force au stade de la question du contrôle du bilan de la démolition demandée.
En effet, dans le cas où le juge a constaté que l’ouvrage public était irrégulièrement implanté et que sa régularisation n’était pas possible, le Conseil d’Etat a expressément précisé que le contrôle du bilan devait être réalisé « en tenant compte de l’écoulement du temps ».
Dans l’affaire soumise au Conseil d’Etat, la question complexe de la prescription trentenaire ayant été jugée inopérante par le Conseil d’Etat, le juge du plein contentieux a donc pu reprendre l’analyse de la situation au stade du bilan pour tenir compte du temps qui passe et rejeter la demande des requérants.
Entre autres sujets, le Conseil d’Etat a en effet jugé qu’il « ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’en dépit de l’ancienneté de la présence de ces ouvrages, les intéressées n’ont pas sollicité de mesures tendant à leur déplacement avant que la commune de Villers-en-Arthies ne décide de procéder à l’enfouissement de certaines lignes électriques par délibération du 7 mars 2014 de son conseil municipal sans intégrer la ligne litigieuse dans ce projet. (…) Dans ces conditions, en estimant qu’eu égard aux inconvénients causés à Mmes D et B par la présence des ouvrages sur leur propriété, leur démolition ne portait pas une atteinte excessive à l’intérêt général, malgré les coûts liés à l’enfouissement de la ligne et à la dépose du pylône et malgré les risques d’interruption du service de distribution d’électricité durant les travaux et alors que le temps écoulé depuis l’acquisition de la propriété supportant les ouvrages en cause était de nature à limiter l’importance des inconvénients allégués, la cour a inexactement qualifié les faits de l’espèce. »
En clair, et même si la question de la prescription trentenaire (souvent délicate à démontrer) n’entre pas en jeu au stade de la recevabilité d’une requête tendant à la démolition d’un ouvrage public mal planté, l’écoulement du temps depuis la naissance de cette situation irrégulière jouera contre les requérants au stade du contrôle du bilan.
En pareille situation, il est donc conseillé d’agir au plus vite à compter de la découverte de cette implantation irrégulière et de s’adjoindre les conseils d’un avocat.
[1] CAA Lyon, 28 juillet 2022, n° 22LY00971 ; CAA Nancy, 16 mars 2021, n° 20NC00531 ; CAA Nantes, 21 février 2020, n° 17NT03861.