Par sa décision rendue le 22 décembre 2022, le Conseil d’État est venu renforcer les moyens d’action permettant aux autorités administratives compétentes de lutter contre les infractions au Code de l’urbanisme. En effet, il a été jugé que les dispositions de l’article L. 481-1 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L5023LUL permettaient au maire d’ordonner la démolition, y compris sous astreinte, d’une construction illégale.
Police spéciale de l’urbanisme : rendre plus efficace la répression des infractions
Rappel des faits et de la procédure
Dans cette affaire, la commune de Villeneuve-lès-Maguelone a constaté que les travaux d’édification d’une clôture n’avaient pas été réalisés conformément au dossier de déclaration préalable déposé par l’un de ses administrés. En effet, il est apparu qu’en lieu et place d’une clôture constituée d’un mur maçonné enduit de 25 centimètres de hauteur et surmonté d’un grillage de 1,55 mètre de hauteur, le pétitionnaire avait réalisé un mur plein de 2 mètres de haut, un portail et posé un panneau solaire.
Après avoir dressé un procès-verbal de constat d’infraction, puis avoir invité l’intéressé à présenter ses observations, le maire de la commune de Villeneuve-lès-Maguelone l’a mis en demeure « de prendre dans le délai d’un mois les mesures nécessaires à la régularisation des travaux entrepris, consistant ‘en une remise en état du terrain respectant strictement l’autorisation d’urbanisme délivrée, à savoir la démolition du mur plein et l’enlèvement du panneau solaire’, sous une astreinte journalière de 100 euros à intervenir à l’expiration du délai imparti ».
Saisi d’un pourvoi en cassation par la commune, le Conseil d’État en a pourtant jugé autrement.
La consécration de la mise en demeure démolir prononcée par l’autorité administrative
Il ressort des dispositions de l’article L. 481-1 du Code de l’urbanisme que :
« Lorsque des travaux mentionnés aux articles L. 421-1 N° Lexbase : L3419HZN à L. 421-5 ont été entrepris ou exécutés en méconnaissance des obligations imposées par les titres Ier à VII du présent livre et les règlements pris pour leur application ainsi que des obligations mentionnées à l’article L. 610-1 N° Lexbase : L0028LND ou en méconnaissance des prescriptions imposées par un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou par la décision prise sur une déclaration préalable et qu’un procès-verbal a été dressé en application de l’article L. 480-1 N° Lexbase : L0742LZI, indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées pour réprimer l’infraction constatée, l’autorité compétente mentionnée aux articles L. 422-1 N° Lexbase : L9324IZD à L. 422-3-1 peut, après avoir invité l’intéressé à présenter ses observations, le mettre en demeure, dans un délai qu’elle détermine, soit de procéder aux opérations nécessaires à la mise en conformité de la construction, de l’aménagement, de l’installation ou des travaux en cause aux dispositions dont la méconnaissance a été constatée, soit de déposer, selon le cas, une demande d’autorisation ou une déclaration préalable visant à leur régularisation ».
Pour le Conseil d’État, ayant suivi les éclairantes conclusions de son rapporteur public (Monsieur Arnaud Skzryerbak), il n’y a aucune raison d’exclure, par principe, la démolition du champ des « opérations nécessaires à la mise en conformité » des travaux ou aménagements réalisés en infraction des dispositions du Code de l’urbanisme.
Une telle position s’appuie sur les travaux parlementaires préalables à l’adoption de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019, relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique N° Lexbase : L4571LUT dont le Conseil d’État retient que le législateur a eu pour « but de renforcer le respect des règles d’utilisation des sols et des autorisations d’urbanisme » (cf. considérant n°4 de la décision commentée).
Autrement dit, et pour le Conseil d’État, l’autorité compétente pour délivrer les autorisations d’urbanisme dispose d’un pouvoir de police spéciale pour faire cesser les infractions constatées « y compris, si la mise en conformité l’impose, en procédant aux démolitions nécessaires », ce qui présente l’avantage pour les communes de leur permettre d’agir « fort et vite », là où les poursuites pénales ne sont pas systématiques et où la lenteur de l’action civile est souvent pointée du doigt.
L’encadrement de la mise en demeure de démolir
La démolition n’est plus l’apanage du juge judiciaire
Et lorsqu’une telle démolition est prononcée par le juge judiciaire, le Conseil d’État a d’ailleurs récemment jugé qu’il
« appartient au maire ou au fonctionnaire compétent, de sa propre initiative ou sur la demande d’un tiers, sous la réserve mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 480-9 du même code N° Lexbase : L5014LUA, de faire procéder d’office à tous travaux nécessaires à l’exécution de cette décision de justice, sauf si des motifs tenant à la sauvegarde de l’ordre ou de la sécurité publics justifient un refus » [4].
Néanmoins, et face à une première approche consistant à réserver au juge judiciaire le prononcé de mesures de démolition portant atteinte au droit de propriété, il apparaît que le Conseil d’État a entendu suivre les conclusions de son rapporteur public que l’on peut résumer de la sorte :
- les mesures prononcées au titre de l’article L. 481-1 du Code de l’urbanisme s’appliquent « indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées pour réprimer l’infraction constatée » ;
- une mesure de démolition peut être ordonnée au titre des pouvoirs de police et il en existe déjà quelques exemples, notamment lorsqu’un immeuble présente un danger tel que la procédure de péril imminent n’assure pas une réaction suffisamment rapide [5] ;
- le Conseil constitutionnel a jugé que si l’action civile en démolition d’un ouvrage a pour effet de priver son propriétaire de la propriété d’un bien irrégulièrement bâti, elle n’entre pas dans le champ de l’article 17 de la Déclaration de 1789 N° Lexbase : L1364A9E et ne constitue pas une dépossession mais une simple atteinte au droit de propriété[6].
- Aussi, le Conseil d’État a pu estimer qu’une mesure de démolition prononcée dans le cadre de l’article L. 481-1 du Code de l’urbanisme constitue une simple atteinte au droit de propriété et que la réserve de compétence judiciaire ne trouvait pas à s’appliquer en pareil cas.
- Toutefois, et au regard des implications d’une telle mesure de démolition, le Conseil d’État est venu encadrer les pouvoirs du maire qui ne doit la prononcer qu’en dernier recours.
Mode d’emploi de l’injonction administrative de démolir un bien irrégulièrement édifié
Aux termes des considérants n°s 3 et 4 de la décision du Conseil d’État, une mesure de démolition ne peut être prononcée par l’autorité compétente pour faire cesser une infraction que dans les cas suivants :
la mise en conformité impliquant une démolition ne doit être envisagée qu’à défaut de régularisation administrative rendue possible par le dépôt d’une autorisation ou d’une déclaration ;
le contrevenant doit avoir été mis à même de présenter ses observations avant toute mesure prise à son encontre ;
Cette mesure de démolition peut être assortie d’une astreinte dès l’origine ou à tout moment après l’expiration du délai imparti par la mise en demeure (pourvu qu’en ce dernier cas, l’intéressé ait été de nouveau invité à présenter ses observations préalables).
Il apparaît donc que l’injonction administrative de procéder à la démolition d’un ouvrage irrégulièrement édifié ne doit être envisagée qu’en dernier recours par l’autorité compétente, qui dispose ici d’un nouveau moyen d’action rapide et efficace pour lutter contre les infractions au Code de l’urbanisme.
TA Montpellier, 1er avril 2022, n° 2201324 N° Lexbase : A4325893.
TA Poitiers, 16 décembre 2021, n° 2001547, 2002067, 2002665 N° Lexbase : A938988A ; TA Lyon, 19 juillet 2022, n° 2104304 N° Lexbase : A43688CR (et n° 2109210 N° Lexbase : A37478CR, n° 2106305 N° Lexbase : A39288CH , n°
2106307 N° Lexbase : A38308CT rendus le même jour pour la même affaire).
Cf. C. urb., art. L. 480-7 N° Lexbase : L5018LUE et L. 480-14 N° Lexbase : L5020LUH.
CE, 5 avril 2022, n° 447631 N° Lexbase : A41717TN.
CE, 10 octobre 2005, n° 259205 N° Lexbase : A0028DLM.
Cons. const., décision n° 2020-853 QPC du 31 juillet 2020 N° Lexbase : A89603RB.
Rappelons à ce titre que lorsqu’une infraction au Code de l’urbanisme est portée à la connaissance de l’autorité administrative, celle-ci est tenue de dresser un procès-verbal de constat d’infraction (cf. C. urb., art. L. 480-1, al. 3, du Code de l’urbanisme : « lorsque l’autorité administrative et, au cas où il est compétent pour délivrer les autorisations, le maire ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale compétent ont connaissance d’une infraction de la nature de celles que prévoient les articles L. 480-4 N° Lexbase : L6810L7D et L. 610-1 N° Lexbase : L0028LND, ils sont tenus d’en faire dresser procès verbal ».