Par un arrêt rendu le 10 octobre 2022 sur conclusions contraires de sa rapporteure publique, le Conseil d’ État est venu répondre à une question inédite : Lorsqu’un jugement prononçant l’annulation partielle d’un permis de construire et enjoignant au pétitionnaire de déposer un permis de construire modificatif fait l’objet d’un recours en cassation, quel est le juge compétent pour juger de la légalité de ce permis de construire modificatif intervenu en cours d’instance ? Dans sa décision, le Conseil d’État a estimé qu’il était compétent pour juger des mesures de régularisation d’un permis de construire intervenues en cours d’instance, mais uniquement lorsqu’il statuait en tant que juge du fond.
Retour sur l’articulation complexe entre les multiples dispositifs législatifs et jurisprudentiels permettant la régularisation des autorisations d’urbanisme en cours d’instance et la délimitation de l’office du juge administratif en la matière.
I. Les principes de la régularisation et délimitation du périmètre de l’instance
En matière de régularisation des autorisations d’urbanisme, le juge administratif peut : Soit constater qu’un vice n’affectant qu’une partie du projet peut être régularisé, prononcer une annulation partielle et fixer le délai dans lequel le pétitionnaire pourra solliciter un permis de construire modificatif régularisant ce vice (C. urb., art. L. 600-5) ; N° Lexbase : L0035LNM
Soit constater qu’un vice entrainant l’illégalité de l’autorisation d’urbanisme contestée est susceptible d’être régularisé et surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour l’intervention d’une mesure de régularisation (C. urb., art. L. 600-5-1). N° Lexbase : L0034LNL
Enfin, l’article L. 600-52 du Code de l’urbanisme aménage les conditions dans lesquelles les requérants peuvent contester une décision modificative ou une mesure de régularisation intervenue en cours d’instance [1] :
« Lorsqu’un permis modificatif, une décision modificative ou une mesure de régularisation intervient au cours d’une instance portant sur un recours dirigé contre le permis de construire, de démolir ou d’aménager initialement délivré ou contre la décision de non-opposition à déclaration préalable initialement obtenue et que ce permis modificatif, cette décision modificative ou cette mesure de régularisation ont été communiqués aux parties à cette instance , la légalité de cet acte ne peut être contestée par les parties que dans le cadre de cette même instance. »
Toutefois, la question du périmètre de l’instance au sens de l’article L. 600-5-2 précité, est rapidement venue se poser et le Conseil d’État a jugé que :
1) Lorsqu’un jugement prononce une annulation partielle d’un permis de construire, que ce jugement est contesté en appel et qu’un permis de construire modificatif a été délivré aux fins de régulariser les vices du permis relevés par les premiers juges, la légalité de ce permis de construire modificatif ne peut être contestée que devant le juge d’appel saisi de l’ensemble du
dossier [2] ; il en va de même lorsqu’un jugement a prononcé l’annulation totale d’un permis de construire, que ce jugement est contesté en appel et qu’un permis modificatif régularisant les vices initialement relevés est délivré en cours d’instance devant le juge d’appel [3] ; en pareilles hypothèses, et si un tribunal administratif est saisi à tort par les requérants, il est tenu de communiquer à la cour les conclusions d’annulation dirigées contre ce permis modificatif [4].
2) En revanche, lorsqu’un jugement avant dire droit a été pris sur le fondement de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme (sursis à statuer / régularisation) et que celui-ci est frappé d’appel, les requérants ne peuvent contester la légalité de la mesure de régularisation, sur laquelle le Tribunal les a invités à présenter des observations, que dans le cadre de cette même instance, le juge d’appel étant incompétent pour en connaitre [5].
Ceci étant précisé, il apparaît donc que l’article L. 600-5-2 du Code de l’urbanisme permet d’organiser la réunion contentieuse des recours contre les décisions modificatives (spontanées ou de régularisation au sens de l’article L. 600-5 du Code de l’urbanisme) au sein de l’instance ouverte contre le permis de construire initial, y compris devant le juge d’appel.
II. Le juge du permis de construire modificatif : le cas particulier du Conseil d’État, juge du fond
« Rien n’est jamais perdu tant qu’il reste quelque chose à trouver », ou plutôt tant qu’un jugement n’est pas devenu définitif.
L’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du Conseil d’État est l’exemple même de la complexité du contentieux de l’urbanisme et illustre un retournement de situation remarquable.
Au cas présent, il apparaît que le permis de construire portant sur l’édification de 39 logements délivré à la société Cogedim a été contesté par deux voisins immédiats du projet et a fait l’objet d’une annulation totale par le tribunal administratif de Lyon [6] lequel statuait en premier et dernier ressort (zone tendue [7]).
Saisi d’un recours en cassation par la société pétitionnaire, le Conseil d’État a toutefois annulé ce jugement pour erreur de droit et a renvoyé l’affaire au tribunal administratif de Lyon [8].
Puis, par un nouveau jugement n° 2003234 rendu le 23 mars 2021, le tribunal administratif de Lyon a annulé l’arrêté du 25 juillet 2017 en tant seulement que le dernier étage du projet excède le tiers de la surface moyenne des étages (rez-de-chaussée non inclus) et a imparti au pétitionnaire un délai de trois mois pour solliciter un permis de construire modificatif
régularisant le projet sur ce point.
C’est alors au tour des requérants de saisir le Conseil d’État d’un recours en cassation à l’encontre de ce second jugement.
Par ailleurs, la Ville de Lyon a délivré, le 9 novembre 2021, un permis de construire modificatif à la société Cogedim, lequel a été contesté par les mêmes requérants devant le tribunal administratif de Lyon. En application de l’article R. 351-2 du Code de justice administrative [9], la présidente du tribunal administratif de Lyon a transmis cette requête au Conseil d’État.
Le Conseil d’État s’est donc retrouvé saisi pour la seconde fois de cette affaire, y compris de la requête dirigée contre l’autorisation modificative prise en suite de l’annulation partielle du permis de construire initial.
Or, le Conseil d’État a considéré que le tribunal administratif de Lyon avait de nouveau commis une erreur de droit et cette seconde cassation l’obligeait donc à statuer définitivement, c’est-à-dire au fond, sur cette affaire [10].
Par suite, et retenant que le permis de construire initial était effectivement entaché d’un vice (Cf. considérant n° 21), la question s’est alors posée de savoir s’il appartenait ou non au Conseil d’État de statuer sur la régularisation du projet par le permis de construire modificatif délivré le 9 novembre 2021.
Et c’est par un considérant précis et circonscrit au cas d’espèce que le Conseil d’État a jugé que :
« Dans les circonstances de l’espèce , alors qu’il règle l’affaire au fond après cassation , en application de l’article L. 8212 du Code de justice administrative, et statue ainsi définitivement sur le litige portant sur la légalité du permis de construire initial du 25 juillet 2017, il y a lieu pour le Conseil d’État, sur le fondement de l’article L. 600-5-2 du Code de l’urbanisme et dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice , de statuer, en qualité de juge de premier et dernier ressort, sur les conclusions tendant à l’annulation pour excès de pouvoir du permis de construire modificatif qui a été délivré le 9 novembre 2021 à la société pétitionnaire en vue de régulariser le permis de construire initial, en statuant sur les moyens propres présentés contre ce permis modificatif par M. et Mme C. et en appréciant si ce permis modificatif permet la régularisation du vice, entachant le permis initial, retenu au point 21 de la présente décision. »
Cette position n’allait pourtant pas de soi et Madame la rapporteure publique de cette affaire (Marie Sirinelli) avait, non sans quelques hésitations, conclu à ce que le permis modificatif ne devait pas relever de l’office du juge de cassation même si celui-ci endossait son costume de juge du fond. Outre les difficultés en matière d’instruction, la rapporteure publique rappelait notamment le risque que soit, in fine, supprimée toute possibilité de recours contre ce permis modificatif, le Conseil d’État jugeant alors en premier et dernier ressort.
Le juge d’appel et le Conseil d’État lorsqu’il statue en tant que juge du fond, apparaissent donc comme les juges naturels des mesures modificatives intervenues en suite d’un jugement annulant totalement ou partiellement une autorisation d’urbanisme.
Ce court-circuit procédural a pour effet d’accélérer le traitement contentieux des projets d’aménagement ou de construction en évitant que les recours en cascade contre chaque autorisation modificative ne repartent à chaque fois de la première instance.
Autrement dit, que ce soit en appel ou en cassation avec évocation de l’affaire au fond, la légalité des mesures modificatives sera systématiquement analysée par un juge statuant en premier et en dernier ressort, sans aucune possibilité de recours au fond.
Ce choix de l’efficacité procédurale vient donc heurter le principe du double degré de juridiction, ce d’autant plus que le champ des autorisations modificatives s’est très largement ouvert, ne se cantonne plus à de légères adaptations et peut radicalement changer le projet initial. Rappelons, en effet, que le champ du permis modificatif ou de régularisation a été récemment élargi par le Conseil d’État [11] et que cette autorisation modificative bénéficie d’un pouvoir régularisateur très fort puisque le permis de construire initial peut être purgé de ses vices à raison d’un changement dans les circonstances de
droit [12] et même de fait [13].
[1] Contestation qui n’est d’ailleurs pas soumise à l’obligation de notification à l’auteur de la décision et au pétitionnaire comme le précise l’article R. 600-1, alinéa 4, du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L9492LPA : « Les dispositions du présent article ne sont pas applicables en cas de contestation d’un permis modificatif, d’une décision modificative ou d’une mesure de
régularisation dans les conditions prévues par l’article L. 600-5-2 ».
[2] CE, Sect., 15 février 2019, n° 401384 N° Lexbase : A4049YXA.
[3] CE, 15 décembre 2021, n° 453316 N° Lexbase : A62357IR.
[4] CJA, art. R. 345-2 N° Lexbase : L7243KHQ.
[5] CE, 5 février 2021, n° 430990 N° Lexbase : A02554GK.
[6] TA Lyon, 29 novembre 2018, n° 1706997 N° Lexbase : A3965Y9Q.
[7] Sur la suppression du degré d’appel : voir CJA, art. R. 811-1-1 N° Lexbase : L2592MDD et la poursuite de l’expérimentation par le décret n° 2022-929 du 24 juin 2022, portant modification du Code de justice administrative et du Code de l’urbanisme (parties réglementaires) N° Lexbase : L2350MDE.
[8] CE, 13 mars 2020, n° 427408, 427618 N° Lexbase : A90853IC.
[9] « Lorsqu’une cour administrative d’appel ou un tribunal administratif est saisi de conclusions qu’il estime relever de la compétence du Conseil d’État, son président transmet sans délai le dossier au Conseil d’État qui poursuit l’instruction de l’affaire. Si l’instruction de l’affaire révèle que celle-ci relève en tout ou partie de la compétence d’une autre juridiction, la chambre d’instruction saisit le président de la section du contentieux qui règle la question de compétence et attribue, le cas
échéant, le jugement de tout ou partie des conclusions à la juridiction qu’il déclare compétente. »
[10] Cf., CJA, art. L. 821-2 N° Lexbase : L3298ALQ : « S’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d’État peut soit renvoyer l’affaire devant la même juridiction statuant, sauf impossibilité tenant à la nature de la juridiction, dans une autre formation, soit renvoyer l’affaire devant une autre juridiction de même nature, soit régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie. Lorsque l’affaire fait l’objet d’un second pourvoi en cassation, le Conseil d’État statue définitivement sur cette affaire ».
[11] Pour les permis de régularisation sur la base de l’article L. 600-5-1 : CE, Sect., avis, 2 octobre 2020, n° 438318 N° Lexbase : A72343WT ; CE, 10 mars 2022, n° 447415 N° Lexbase : A38477QK ; pour les permis modificatifs, CE, 26 juillet 2022, n° 437765 N° Lexbase : A10348DN.
[12] CE, 7 mars 2018, n° 404079 N° Lexbase : A2823XGN.
[13] CE 1°-4° ch. réunies, 10 octobre 2022, n° 451530, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A52438NI (cas d’espèce en rapport avec la loi « littoral ») CAA Toulouse, 12 mai 2022, n° 19TL01569 N° Lexbase : A81728BB (cas d’espèce relatif à l’obtention d’une servitude judiciaire)