À peine de désistement d’office, le délai imparti par le tribunal au requérant pour produire son mémoire complémentaire annoncé à l’occasion du dépôt de sa requête sommaire est impératif et ne souffre d’aucune exception. Et ce, même si le requérant a sollicité, avant l’expiration de ce délai initial, un délai supplémentaire pour produire ce mémoire.
C’est la conclusion, sévère, à laquelle est parvenue le Conseil d’État, qui, sur conclusions contraires de son rapporteur public [1], a tiré les conséquences d’une application stricte de l’article R. 612-5 du Code de justice administrative N° Lexbase : L3130ALI, lequel dispose que : « Devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, si le demandeur, malgré la mise en demeure qui lui a été adressée, n’a pas produit le mémoire complémentaire dont il avait expressément annoncé l’envoi (…) il est réputé s’être désisté ».
Véritable chausse-trappe procédurale, l’annonce de la production d’un mémoire complémentaire à l’appui d’une requête sommaire implique donc de maitriser parfaitement le calendrier de procédure pour éviter un cruel désistement d’office. En la matière, il n’existe aucune session de rattrapage, ce qui a de quoi donner quelques sueurs froides aux requérants et à leurs avocats.
Bref rappel des faits et petites astuces pour éviter le couperet.
I. L’annonce d’un mémoire complémentaire et l’impitoyable désistement d’office
Dans le cas soumis au Conseil d’État, on relèvera que le tribunal administratif de Rennes a été saisi, le 19 mai 2017, d’une requête en annulation d’une décision d’un centre hospitalier. Cette requête annonçait expressément la production d’un mémoire complémentaire.
Le 1er août 2017, en plein cœur de l’été, le tribunal administratif de Rennes a mis en demeure la requérante de produire ce mémoire complémentaire et ce, dans le délai d’un mois.
Dans le délai imparti, le Conseil de la requérante avait sollicité une demande tendant à la prolongation du délai pour produire son mémoire complémentaire. Demande à laquelle le tribunal n’a pas répondu.
Le 18 juillet 2018, un mémoire complémentaire a fini par être produit, lequel a été communiqué à la partie en défense qui a pu y répliquer. Une audience a été fixée.
Tout laissait donc croire que l’affaire serait jugée au fond.
Toutefois, et par un jugement du 16 janvier 2020, le tribunal administratif de Rennes a finalement décidé de donner acte du désistement d’office de la requérante, lequel serait intervenu en septembre 2017, après l’expiration de la mise en demeure de produire un mémoire complémentaire.
Plus de deux ans et demi d’instruction pour ça ? On comprend aisément la surprise de la requérante [2] !
Mais le mécanisme du désistement d’office est impitoyable.
En effet, le Conseil d’État, confirmant l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes, a jugé que :
– dès lors qu’une requête annonçait expressément la communication d’un mémoire complémentaire, le tribunal ou la cour peuvent mettre en demeure le requérant de produire un tel mémoire ;
– cette mise en demeure doit laisser au requérant un délai suffisant pour y répondre et l’informer des conséquences d’un défaut de réponse dans ce délai ;
– si ce mémoire n’est pas produit dans ce délai ouvert par la mise en demeure, et peu importe qu’une demande de délai supplémentaire ait été formulée avant l’expiration de ce délai, le requérant est réputé s’être désisté d’office.
Cet arrêt sévère s’inscrit d’ailleurs à la suite d’un autre arrêt rendu sur le sujet par le Conseil d’État au début de l’année 2023 qui avait jugé que, dans le cas où le requérant sollicite une demande de prolongation du délai pour produire son mémoire complémentaire et que le juge y fait droit, mais que cette demande de prolongation a été présentée après l’expiration du délai fixé initialement par la mise en demeure, le requérant est toutefois déjà réputé s’être désisté d’office de sa requête du seul fait de l’expiration de ce premier délai. La circonstance que le juge ait accordé un délai supplémentaire après l’expiration du délai initial pour produire un mémoire complémentaire ne change donc rien à l’intervention d’un désistement d’office [3].
II. Sécuriser sa procédure et éviter le désistement d’office
Il est toujours plus facile, après coup, de tirer les leçons d’une décision qui nous paraît excessivement sévère pour les requérants, mais voici quelques pistes de réflexion pour sécuriser au maximum sa procédure contentieuse contre le désistement d’office et autres pièges procéduraux liés.
A. Ne pas annoncer la production d’un mémoire complémentaire dans le cadre de sa requête
Le déclenchement de la mécanique infernale du désistement d’office de l’article R. 612-5 du Code de justice administrative dépend du requérant lui-même lorsqu’il indique expressément dans sa requête qu’elle fera l’objet d’un « mémoire complémentaire ».
Bien entendu, il est des cas où l’avocat est saisi du dossier quelques jours avant l’expiration du délai de recours contentieux, voire le jour même. Dans cette hypothèse, il n’aura d’autres choix que de produire, in extremis, une requête sommaire annonçant l’intention du requérant de produire un mémoire complémentaire, et ce, pour éviter un autre piège procédural : l’ordonnance de tri, fondée sur le 7° de l’article R. 222-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L2796LPA, faute de précision suffisante de la requête ou pour absence manifeste de bien-fondé [4].
Les avocats qui pratiquent le droit des étrangers sont d’ailleurs souvent confrontés à de telles urgences et, outre les délais de recours spéciaux et raccourcis en la matière, notons que le législateur est allé encore plus loin en prévoyant qu’une requête sommaire dirigée contre une obligation de quitter le territoire français (OQTF 30 jours), annonçant l’intention du requérant de présenter un mémoire complémentaire doit parvenir dans un délai de 15 jours, après quoi il est réputé s’est désisté [5]. Le greffe du tribunal ou de la cour n’a donc même plus à adresser de mise en demeure formelle au requérant, le délai de production du mémoire complémentaire étant fixé par la loi.
La production d’une requête sommaire et l’annonce de l’intention du requérant de produire un mémoire complémentaire doivent donc, autant que possible, être évitées.
En toute hypothèse, si l’avocat dispose d’ores et déjà de quelques moyens de légalité interne et externe, et qui nécessitent une instruction contradictoire pour être tranchés (par ex. l’existence, la validité et la publication d’une délégation de signature), il vaut mieux déposer une requête ordinaire, quitte à la compléter plus tard.
Attention toutefois à la cristallisation des moyens qui peut être prononcée par le juge pendant l’instruction [6], et, en matière d’urbanisme, à la cristallisation automatique des moyens deux mois après la communication du premier mémoire en défense [7].
B. Ne pas compter sur une demande de prolongation du délai initialement imparti pour produire le mémoire complémentaire
Il sera rappelé que le juge n’a aucune obligation de faire droit à une demande de délai supplémentaire formulée par une partie pour produire un mémoire hormis le cas où des motifs tirés des exigences du débat contradictoire l’imposeraient. Il n’a pas davantage à motiver le refus qu’il oppose à une telle demande [8].
Par ailleurs, et comme on l’a vu, en cas de demande de délai formulée après le délai initialement fixé pour produire un mémoire complémentaire, même si le juge accorde un tel délai supplémentaire, cette circonstance ne s’oppose pas à l’intervention d’un désistement d’office sur le fondement de l’article R. 612-5 du Code de justice administrative [9].
Même solution pour la demande de délai formulée avant le délai initialement fixé pour produire un mémoire complémentaire lorsque le juge ne répond pas formellement à cette demande (cf. arrêt ici commenté).
La demande de délai supplémentaire ne présente donc aucune garantie au requérant contre l’intervention d’un désistement d’office et il est conseillé de ne pas compter sur une telle demande pour repousser la date fatidique du désistement d’office.
Enfin, pour rappel et en matière de délais, la « technique de l’autruche » ne fonctionne pas non plus puisque qu’en vertu de l’article R. 611-8-6 du Code de justice administrative N° Lexbase : L4423LYH, les parties sont réputées avoir reçu notification des communications de la juridiction effectuées par voie électronique dès qu’elles consultent le document ou, à défaut, dans un délai de deux jours ouvrés à la suite de sa mise à disposition.
Quoiqu’il arrive, le délai de mise en demeure de produire un mémoire complémentaire partira donc, au plus tard, deux jours après sa mise à disposition sur l’application Télérecours.
C. Cas désespéré : Renoncer au mémoire complémentaire ou produire à nouveau sa requête initiale
Pour toute une série de raison, l’avocat peut connaître toutes les peines du monde à réunir les éléments lui permettant de compléter utilement sa requête sommaire. Que ce soit en raison d’un client absent et/ou peu coopératif, d’une administration qui refuse de communiquer les pièces nécessaires à l’instruction du dossier ou pour des raisons personnelles, le Code de justice administrative ne connaît malheureusement aucune exception : l’heure c’est l’heure.
Par conséquent, et dans les cas extrêmes où, à quelques heures de la fin du délai initial imparti pour produire un mémoire complémentaire, il n’est matériellement pas possible de produire un mémoire complémentaire, il est possible :
– soit d’informer le juge que le requérant entend renoncer à la production d’un mémoire complémentaire sans pour autant se désister [10] : la requête sommaire doit alors être regardée comme une requête ordinaire ;
– soit de réitérer dans un « mémoire complémentaire » (nommé ainsi pour la forme) le contenu de sa requête initiale [11].
Néanmoins, et si cette « astuce » permet, jusqu’à ce jour, d’éviter le constat d’un désistement d’office sur le fondement de l’article R. 612-5 du Code de justice administrative, elle ne permet pas d’évacuer le risque de se voir notifier une ordonnance de tri sur le fondement du 7° de l’article R. 222-1 du Code de justice administrative dont le mécanisme prend le relai « après l’expiration du délai de recours ou, lorsqu’un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire ».
Il s’agit donc d’une réponse précaire et temporaire qui permet seulement et au mieux de gagner quelques jours, le temps que le mémoire complémentaire ou le courrier soit transmis et analysé par le magistrat rapporteur. Et en cas d’ordonnance de tri sur le fondement de ces dispositions, seul un recours en cassation est ouvert, ceci étant précisé que le contrôle du Conseil d’État est extrêmement limité [12].
Face au désistement d’office, et plus largement, face au risque de voir sa requête faire l’objet d’une ordonnance de tri, il n’existe donc malheureusement pas de recettes miracles.
Les avocats sont donc conduits et contraints, par ces mécanismes de tri, mais aussi au regard de leur responsabilité civile professionnelle, de développer au maximum leurs requêtes initiales dans lesquelles l’on retrouve désormais une « flopée » de moyens qui, pour certains, finissent par nuire à la qualité du débat contradictoire.
[1] Voir les conclusions détaillées de Monsieur Florian Roussel sur Arianeweb.
[2] Pour un résumé précis de l’affaire par la CAA de Nantes, lire l’arrêt CAA Nantes, 3e ch., 5 novembre 2021, n° 20NT01026 N° Lexbase : A41557BI.
[3] CE, 13 janvier 2023, n° 452716 N° Lexbase : A1662883.
[4] Le tribunal ou la cour peut en effet, prendre une ordonnance aux fins de : « 7° Rejeter, après l’expiration du délai de recours ou, lorsqu’un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire, les requêtes ne comportant que des moyens de légalité externe manifestement infondés, des moyens irrecevables, des moyens inopérants ou des moyens qui ne sont assortis que de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien ou ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé. »
[5] CJA, art. R. 776-12 N° Lexbase : L8141LAR.
[6] CJA, art. R. 611-7-1 N° Lexbase : L2815LPX.
[7] C. urb., art. R. 600-5 N° Lexbase : L9491LP9.
[8] CE, 3°-8° ch. réunies, 19 septembre 2016, n° 383781 N° Lexbase : A3350R3H.
[9] CE, 13 janvier 2023, n° 452716, préc.
[10] CE, 26 juillet 1996, n° 160269 N° Lexbase : A0429APL.
[11] CE, 19 juillet 1997, n° 179047 N° Lexbase : A1034AEZ.
[12] CE, 5 octobre 2018, n° 412560 N° Lexbase : A5180YEL.