Diffusion du droit : les arrêtés préfectoraux doivent-ils être publiés sur Légifrance ? Réflexion sur l’effectivité du service public de la diffusion du droit

Par une décision rendue le 27 juillet 2022, le Conseil d’État est venu préciser le régime et les contours du service public de la diffusion du droit. Au terme d’une interprétation particulièrement créative, il a été jugé que les arrêtés préfectoraux n’avaient pas à être publiés sur Légifrance.

 

Quiconque a déjà tenté d’effectuer des recherches dans le recueil des actes administratifs (RAA) en ligne d’une préfecture sait à quel point une telle entreprise peut s’avérer fastidieuse et chronophage.

En effet, les moteurs de recherche des décisions préfectorales sont inexistants, ces dernières sont publiées par lots, sous forme d’un fichier .pdf de plusieurs dizaines de pages, et sont, de surcroît, difficilement exploitables faute d’avoir été mises en ligne dans un format natif permettant une recherche par mots clefs.

L’utilisateur est donc condamné à faire défiler des dizaines voire des centaines de pages pour espérer trouver la décision qu’il recherche. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin et en termes d’accès au service public, on a vu mieux.

Peut-être est-ce ce qui a poussé un utilisateur assidu du site Légifrance à demander au Premier Ministre, sous l’autorité duquel est placée la Direction de l’information légale et administrative (DILA), à ce que soit mis à disposition, sur le site Légifrance, l’ensemble des arrêtés préfectoraux à caractère réglementaire.

 

I. L’ensemble des arrêtés préfectoraux doivent-ils être mis en ligne sur Légifrance ?

De prime abord, tout juriste averti aurait pu penser que le requérant avait visé juste puisque l’article 1er du décret n° 2002-1064 du 7 août 2002, relatif au service public de la diffusion du droit par l’internet N° Lexbase : L5167A47, dispose que :

« Il est créé un service public de la diffusion du droit par l’internet. / Ce service a pour objet de faciliter l’accès du public aux textes en vigueur ainsi qu’à la jurisprudence. / Il met gratuitement à la disposition du public les données suivantes : / 1° Les actes à caractère normatif suivants, présentés tels qu’ils résultent de leurs modifications successives : / a) La Constitution, les codes, les lois et les actes à caractère réglementaire émanant des autorités de l’Etat ; / b) Les conventions collectives nationales ayant fait l’objet d’un arrêté d’extension (…) ».

L’article 2 de ce décret dispose que ces données sont diffusées via le site internet Légifrance.

Par conséquent, et puisque les préfets sont bien des autorités de l’État, il apparaissait logique que la DILA soit tenue de procéder à la diffusion des actes règlementaires préfectoraux sur le site internet Légifrance.

Mais c’était sans compter sur l’interprétation particulièrement créative retenue par le Conseil d’État qui a jugé que :

« 2. (…) Il résulte de l’économie générale de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, que le site Légifrance a vocation à mettre à la disposition du public les actes à caractère normatif émanant des autorités de l’État à compétence nationale, notamment leurs actes à caractère réglementaire.

3. Les arrêtés préfectoraux à caractère réglementaire ne sont pas des actes émanant d’une autorité de l’État à compétence nationale. Dès lors, ces arrêtés, qui sont au demeurant publiés au recueil des actes administratifs des préfectures, lesquels sont accessibles en ligne, ne peuvent être regardés comme des actes à caractère réglementaire émanant des autorités de l’État au sens et pour l’application du décret du 7 août 2002 relatif au service public de la diffusion du droit par l’internet »;

Invoquer « l’économie générale de ces dispositions » et les travaux préparatoires de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations N° Lexbase : L0420AIE, pour les interpréter et réduire le champ d’application de la diffusion des actes émanant des « autorités de l’État » apparaît étonnant dès lors que lesdites dispositions étaient pourtant claires et n’opéraient aucune distinction entre les autorités centrales de l’État, « à compétence nationale », et les autorités déconcentrées de l’État (préfets, recteurs, maires agissant au nom de l’État, …).

Le Conseil d’État invoque donc ici « l’esprit du décret » pour faire primer une solution qui n’allait pas de soi en mettant en échec deux autres principes d’interprétation, à savoir :

1- Là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer (Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus) ;

2- Il n’y a pas lieu d’interpréter lorsque la lettre est claire (claris non fit interpretatio).

Dans ces conditions, et en précisant que les arrêtés préfectoraux restent « accessibles en ligne » sur les RAA de chaque préfecture, le Conseil d’État en conclut qu’il n’existe aucune obligation pesant sur la DILA de mettre en ligne lesdits arrêtés sur le site Légifrance.

 

II. L’accès à l’information juridique : un service public effectif ?  

Dans cette affaire, et au-delà des motivations du requérant, la question de l’effectivité de l’accès au service public de la diffusion du droit par internet se pose. C’est d’ailleurs l’objet même de ce service public qui est de « faciliter l’accès du public aux textes en vigueur ainsi qu’à la jurisprudence » (Cf. article 1er du décret du 7 août 2002 précité).

En matière de facilité d’accès, le site internet Légifrance n’est certes pas parfait mais la DILA propose régulièrement des améliorations en vue d’assurer une diffusion effective du droit et l’utilisateur trouve globalement ce qu’il recherche. En effet, Légifrance ne se borne pas seulement à mettre à disposition des données (« open data ») mais les rend accessible aux utilisateurs via un moteur de recherche simple et une page de résultats claire et épurée.

L’on ne peut pas en dire autant des préfectures qui se bornent à publier les décisions règlementaires concernant leur territoire, peu importe, au final, que ces arrêtés soient effectivement accessibles à un utilisateur normalement averti ou que les Avocats, dont votre serviteur, passent des heures à retrouver un arrêté de déclaration d’utilité publique, un plan de prévention des risques ou un arrêté de carence…

Cette accessibilité est d’autant moins assurée s’agissant des personnes en situation de handicap alors que la loi  n° 2005-102 du 11 février 2005, pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées N° Lexbase : L5228G7R, prévoit que les personnes morales de droit public, y compris donc l’État, sont concernées par l’obligation d’accessibilité des services de communication au public en ligne.

Que dire également de l’accès aux décisions de la juridiction administrative ?

L’arrêté du 28 avril 2021 N° Lexbase : L3302L43, pris en application de l’article 9 du décret n° 2020-797 du 29 juin 2020, relatif à la mise à la disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives N° Lexbase : L5271LXI, a fixé le calendrier suivant pour la mise à disposition, en open data, des décisions de la justice administrative :

– 30 septembre 2021, s’agissant des décisions du Conseil d’État ;

– 31 mars 2022, s’agissant des décisions des cours administratives d’appel ;

– 30 juin 2022, s’agissant des décisions des tribunaux administratifs.

Manifestement, open data ne rime pas avec « facilité d’accès au droit » et pour s’en convaincre il suffit de se rendre sur le site Open data / justice administrative.

Dénué de tout moteur de recherche et d’interface claire, l’utilisateur est invité à télécharger un fichier « .zip » regroupant, par juridiction et par mois, des fichiers « .xml» peu lisibles pour un utilisateur non averti. Sans une interface utilisateur complète permettant de trier, d’afficher et d’exploiter ces données, l’effectivité de l’accès aux décisions de la justice administrative n’apparaît donc, à ce jour, pas assurée.

Sur ce point, le moteur de recherche Ariane Web (en libre accès) ou Ariane Archives (accessible uniquement aux magistrats) pourrait ici servir de support à une diffusion complète de ces données, sous réserve de leur anonymisation. 

Les services en ligne des préfectures, comme la plateforme de mise en ligne des décisions de la justice administrative, sont donc encore loin de faire partie de la « République numérique » accessible aux internautes, faute de services en ligne permettant un accès facilité aux données concernées.

S’agissant des collectivités locales, nous notons que, dans le même temps, la publication électronique des actes des collectivités territoriales est devenue la formalité de droit commun (Cf. ordonnance n° 2021-1310 du 7 octobre 2021, portant réforme des règles de publicité, d’entrée en vigueur et de conservation des actes pris par les collectivités territoriales et leurs groupements N° Lexbase : L4636L89 et décret n° 2021-1311 du même jour N° Lexbase : L4587L8E) et que de nombreuses communes œuvrent, avec des moyens limités, à rendre plus accessible l’information locale.

En matière d’urbanisme encore, la publication en ligne des différents documents de planification urbaine est également obligatoire et le site internet dédié facilite clairement l’accès et la visualisation cartographique de ces données. Notons encore que, depuis le 1er janvier 2022, il est possible de déposer des demandes d’autorisations d’urbanisme en ligne pour les communes raccordées via un site internet dédié.

L’État n’ignore pas le retard accumulé en matière de diffusion de l’information juridique et d’accessibilité des sites publics et, le 6 juillet 2021, a été lancé le Système de Design de l’État développé par le Service d’information du Gouvernement (SIG). Cette plateforme a vocation à regrouper « un ensemble de composants réutilisables, répondant à des standards et à une gouvernance, pouvant être assemblés pour créer des sites internet accessibles et ergonomiques » et permettre « aux citoyens et citoyennes d’avoir une meilleure expérience des services numériques de l’État ».

Espérons que les préfectures ainsi que les juridictions administratives en fassent rapidement bon usage !